WIMBLEDON
LIVERPOOL
Rarement surnom n’aura été aussi mérité que celui dont la presse affubla l’équipe de Wimbledon du début des années 80 jusqu’au milieu des années 90 : « The Crazy Gang » ! Un groupe adepte des stages commando et d’un jeu d’une simplicité confondante, une bande d’écervelés qui jouait comme elle buvait : dur ! Une équipe de sociopathes à la réputation sulfureuse dont Vinnie Jones était le leader, l’âme, le chef de gang … c’est selon. Dans le petit village norvégien de Sandane, coincé entre deux fjords, à 250 kilomètres au nord de Bergen, on se souvient encore de Vinnie Jones. A l'été 1994, le Gallois patibulaire et ses camarades du Wimbledon FC étaient venus y disputer un match amical contre l'équipe locale. Cela aurait pu être une sortie au grand air, idéale pour préparer la saison. Mais Jones avait d'autres plans en tête. La veille du match, il fuma des cigarillos à la chaîne, dansa cul nul sur la scène de l'unique pub du coin, goûta le tord-boyaux maison distillé en toute illégalité et se battit derrière la laiterie. Puis il loupa le départ du bus et dut courir 20 bornes pour aller au stade. Les joueurs de Sandane le virent quelques minutes avant la rencontre, affalé sur le canapé du club-house. Cela promettait donc un match tranquille, sans hématomes. Las, à quelques secondes du coup d'envoi alors que la sono grondait dans le vestiaire de Wimbledon, Vinnie Jones passa la tête dans l'embrasure de la porte et gueula « Let's f...ing kill them ! » (« Allez, on va les étriper ! »). Les Anglais l'emportèrent 4-0, et l'adversaire direct de Jones finit le front en sang. « C'est bon pour la santé », lui glissa le Gallois. L'épopée de Sandane reste un des derniers chapitres d'un trip pour le moins rock and roll entamé en 1986. Cette année-là, Vinnie Jones et John « Fash » Fashanu rejoignirent le repère exigu de Plough Lane, où évoluaient déjà une tête brûlée nommée Denis « Ratboy » Wise et Lawrie Sanchez. Admis au sein de la Football League (qui regroupait à l’époque les quatre plus hautes divisions anglaises) en 1977 à la place de Workington, Wimbledon n’avait pourtant guère sa place sur la carte footballistique de l’Angleterre. Un nain du ballon rond, comparé à la multitude de clubs existant à Londres, au palmarès famélique voire même inexistant. Et pourtant à partir de 1982, l’équipe connut une ascension météorique, passant des bas-fonds de la Division 4 au ventre mou de l’élite, voir même mieux avec cette sixième place (sur 22 clubs) conquise à l’issue de l’exercice 86/87.
Sous l'égide d'un président complètement allumé lui aussi, l'homme d'affaires libanais Sam Hammam (qui paraît-il rêvait d’acheter Chelsea et faute de quoi s’était reporté sur Wimbledon sur conseil … d’un chauffeur de taxi), l’équipe se fit connaître par son jeu pour le moins rudimentaire et son attitude frondeuse, voire carrément provocatrice sur et en dehors du terrain. Les Dons développaient un style de jeu particulièrement musclé et reposant principalement sur des grands ballons devant, ce que le coach Dave Bassett appellera le « route one football », et qui consistait, de façon moins imagée qu’il n’y paraît, à prendre la route la plus courte jusqu’au but adverse. La presse détestait ce jeu basique, rugueux, si peu sophistiqué qu'il se trouva souvent taxé d'amateur. L’élégant Gary Lineker déclara même un jour que le « meilleur endroit pour regarder un match de Wimbledon, c’est devant le télétexte de la BBC ». Les supporters adverses détestaient aussi, car le style était intense et s'avérait terriblement difficile à jouer. En coulisses, les joueurs étaient excentriques, bruyants, machos, volontiers blagueurs, et toujours impossibles à gérer. La plupart de temps, le coach devait faire le tour des pubs pour aller chercher ses joueurs avant le match, et c'est souvent saouls et dans des costards cramés que ces derniers se présentaient aux conférences de presse d'après match. La première, et unique, équipe de football punk en somme. So british ! Pourtant, cet équilibre sur le fil va créer un esprit d'équipe unique dans l'histoire, basé sur une résistance très prolétaire, à la « nous contre le monde entier ». Vinnie Jones, John Fashanu, Dennis Wise et Nigel Winterburn sont les plus célèbres des joueurs ayant donné ses lettres de noblesse au Crazy Gang. Des années de blagues potaches (dont la fameuse rangée de fesses pour saluer l’adversaire), de beuveries, de jeu rudimentaire. En 1987, une image devint la marque de fabrique du Crazy Gang. Agacé par un ailier virevoltant aux bouclettes brillantes, Vinnie Jones lui caressa gentiment les testicules pour le calmer. Paul Gascoigne, sa victime, tira une tête de six pieds de long, immortalisée par un photographe. (*) Il est, de toute façon, souvent question de parties génitales avec la bande de la banlieue londonienne. Sam Hammam, aimait descendre à la mi-temps pour motiver ses gars : « Si vous perdez, je vous fais bouffer des couilles et de la cervelle de chameau ce soir ! ». Un président totalement fantasque qui promit, par exemple un jour, un chameau (décidément !) au buteur Dean Holdsworth s'il atteignait les 20 buts dans la saison, ou menaça les joueurs auteurs de mauvaise performance avec... des places pour l'opéra.
Feuille du match : Wimbledon FC - Liverpool FC 1-0
But :
Wimbledon : Lawrie Sanchez (37e).
Lieu : Londres, Wembley (Empire Stadium)
Date : 14 Mai 1988
Arbitre : M. Brian Hill
Affluence : 98 203 spectateurs
Composition des équipes :
Wimbledon : Dave Beasant (cap.) - Clive Goodyear, Terry Phelan, Vinnie Jones, Eric Young, Andy Thorn, Terry Gibson (John Scales, 63ème), Alan Cork (Laurie Cunningham, 56ème), John Fashanu, Lawrie Sanchez, Dennis Wise. Entr.: Bobby Gould.
Liverpool : Bruce Grobbelaar - Gary Gillespie, Gary Ablett, Steve Nicol, Nigel Spackman (Jan Mølby, 74ème), Alan Hansen (cap.), Peter Beardsley, John Aldridge (Craig Johnston, 64ème), Ray Houghton, John Barnes, Steve McMahon. Entr.: Kenny Dalglish.
Le Match :
L’heure de gloire pour le Crazy Gang vint lors de la saison 1987/88 grâce à un parcours mémorable en FA Cup. Après avoir éliminé West Bromwich Albion (4-1), Mansfield Town (2-1), Newcastle United (3-1), Watford (2-1) et finalement Luton Town (2-1) en demi-finales à White Hart Lane, Wimbledon se hissa jusqu’en finale. Côtés à seulement 33-1 avant leur entrée en lice au troisième tour, les Dons avaient déjoué tout les pronostics. Mais l’adversaire qui se présentait fin mai sur la pelouse de Wembley était d’un tout autre calibre. Liverpool, emmené par son entraîneur-joueur Kenny Dalglish, avait largement terminé en tête du championnat, 9 points devant Manchester United, restant invaincu durant 29 journées pour ne concéder au final que deux petites défaites ! Le duo de recrues – l’ailier John Barnes (débauché de Watford pour à peine 900 000 £) et l’attaquant Peter Beardsley (venu de Newcastle contre 1,9 millions de livres) – avaient parfaitement rempli leurs rôles et levé les doutes né du départ en début de saison de Ian Rush pour la Juventus Turin. Une attaque parfaitement rodée, menée par l'expérimenté John Aldridge, et une défense solide dont le dernier rempart était l’excentrique mais talentueux zimbabwéen Bruce Grobbelaar : ces Reds-là faisaient surement parti des meilleures équipes de l’histoire du club. Pour beaucoup, il était impossible que Liverpool puisse perdre face à Wimbledon, spécialistes des ballons longs et du jeu viril. Pour certains, une victoire des Scousers était même essentiel au futur du beau jeu outre-Manche, une sorte de triomphe du bien sur le mal, du classicisme sur la décadence.
En vue de cette opposition de style, Don Howe, assistant de Bobby Gould sur le banc de Wimbledon, avait mis au point un plan anti-John Barnes en le privant de ballon. Une tactique payante puisque le joueur d’origine jamaïcaine ne put donner sa pleine mesure et resta muet durant la rencontre. Le match allait être engagé. Le ton était d’ailleurs donné dès le coup d’envoi puisqu’après, à peine, 10 secondes de jeu, Vinnie Jones avait déjà aplati le premier Red passé près de lui. Le début de rencontre tournait à l’avantage de Liverpool qui se procura plusieurs occasions nettes mais tomba sur une Dave Beasant en grande forme. A la 35ème minute, un long ballon atterrit dans les pieds de Peter Beardsley, seul à l’entrée de la réparation. L’ancien de Newcastle ne laissa pas passer sa chance et s’en alla battre Beasant d’une petite balle piquée. Ouverture du score pour Liverpool mais la joie est de courte durée car le but est refusé pour une faute peu évidente de ce même Beardsley lors d’un contact épaule contre épaule avec Andy Thorn. Mais, pardonnez la lapalissade, dominer n’est pas gagner et le manque de réalisme des Reds allait leur être fatal. 37ème minute, coup-franc pour Wimbledon près du poteau de corner. Le ballon de Dennis Wise trouva la tête de Lawrie Sanchez au premier poteau qui, d’une tête croisée, envoya le ballon au fond des filets du pauvre Grobbelaar, totalement impuissant sur sa ligne de but. Les Dons faillirent même doubler la mise avant la mi-temps lorsque le tir de Terry Gibson, dans un angle pourtant fermé, vint frapper la barre transversale. Liverpool était sonné mais pas K.-O. Dès le retour des vestiaires, Beasant devait s’employer pour préserver sa cage inviolée devant les tentatives de Ray Houghton ou d’Alan Hansen. La chance semblait du côté londonien lorsqu’à la 61ème minute, Clive Goodyear tacla sèchement par derrière John Aldridge, parfaitement lancé dans la surface de réparation. L’arbitre, Brian Hill, n’hésita pas et désigna immédiatement le point de penalty. Les contestations des joueurs de Wimbledon qui considéraient que Goodyear avait joué le ballon n’y changèrent rien. Aldridge, meilleur buteur de D1 avec la bagatelle de 26 buts, décida de se faire justice lui-même. Frappe à mi-hauteur sur la gauche du gardien déviée d’un magnifique plongeon par le grand (1m93) Dave Beasant. Le ciel tombait sur la tête du pauvre Aldridge qui était un très bon tireur de penalty mais qui avait l’inconvénient d’être assez prévisible tout ces précédents penalties cette saison-là avaient été transformé d’une frappe sur la gauche du gardien adverse. Un détail qui n’avait pas échappé à Beasant qui avait choisi fort logiquement d’anticiper sur sa gauche. Ce penalty raté constitue une rareté dans l’histoire de la FA Cup puisque le dernier échec en finale remontait à … 1913 lorsque le malheureux Charlie Wallace avait raté le cadre lors d’une finale qui opposait son équipe Sunderland à Aston Villa. Les Black Cats s’étaient alors inclinés sur le score de … 1 à 0. Beasant devenait par la même le premier portier à arrêter un penalty en finale de Coupe d’Angleterre. Le héros du jour allait garder sa cage inviolée jusqu’au coup de sifflet final repoussant les dernières tentatives désespérées, et quelque peu désordonnées, des Scousers. L’impensable s’était produit. Le Crazy Gang avait battu le Culture Club selon la formule du commentateur de la BBC John Motson. Le plus grand succès de l’histoire de Wimbledon, la revanche des chiffonniers sur les riches, du méprisé sur le nanti ! Et tant pis si le style fut laborieux, le cœur y était ! Le Crazy Gang avait démantibulé le grand Liverpool !
"Prolongations" :
Ce succès de prestige marqua l’apogée du Crazy Gang, d’un certain style de jeu qui avait délaissé toute fioriture au profit de l’efficacité absolue. Un style où tout effet de manche était proscrit, un style était épuré, rugueux, viril voire carrément violent. Une certaine vision du football très rock and roll, une équipe de pop-stars ingérables en somme qui faisaient le bonheur des tabloïds anglais. Au cours des années 90, le Crazy Gang laissa peu à peu la place à un Wimbledon plus conventionnel. Les piliers de l'état d'esprit originel quittèrent peu à peu le club et, parallèlement à l'installation confortable du club en première division, furent remplacés par des joueurs plus adaptés aux exigences du football d'élite. Dennis Wise émigra ainsi à Chelsea en 1990 où il devint une figure tutélaire du vestiaire. Vinnie Jones écuma différents clubs (Leeds en 1989, Sheffield United en 1990, Chelsea en 1991) ne parvenant jamais à se stabiliser plus d’une saison avant de revenir à Wimbledon pour y finir sa carrière, collectionnant tout de même au passage quelques apparition sous le maillot national gallois. John Fashanu resta quand à lui, fidèle aux Dons, jusqu’en 1994 et son départ pour Aston Villa où il joua une poignée de matchs avant de mettre un terme définitif à sa carrière de joueur. Nigel Winterburn, dernier membre de ce quatuor de poètes du ballon rond, avait déserté Plough Lane avant même le succès en FA Cup pour rejoindre Arsenal où il resta jusqu’en l’an 2000, faisant partie du Boring Arsenal comme des premiers succès de l’ère Wenger. Le Wimbledon FC a depuis déposé le bilan, puis déménager en 2003 pour devenir le Milton Keynes Dons FC. Les supporters hurlèrent à la franchisation de leur club et se groupèrent pour créer l’AFC Wimbledon, véritable dépositaire du passé et des valeurs de l’ancien club, qui démarra son existence tout en bas de l’échelle au sein des divisions amateurs. Aujourd’hui cette équipe, devenue la plus médiatisée du monde à ce niveau de compétition, a emboîté le pas à son illustre devancière en montant de quatre divisions en cinq ans évoluant désormais aux portes de la Football League et du monde professionnel. Après tout, les légendes ne meurent jamais...
Remerciements à Aujourd'hui Sport et Trente Trois Tours Magazine
(*) Le résumé que Paul Gasgoigne fit de sa « rencontre » avec Vinnie Jones est au demeurant assez explicite "Il s'est approché de moi pour me dire : « Je m'appelle Vinnie Jones, je suis un gitan, je gagne beaucoup de fric et je vais t'arracher l'oreille avec les dents puis tout recracher dans l'herbe. Tu es seul mon gros, tout seul avec moi ! » Tout le temps, j'ai senti son souffle derrière moi, comme un dragon. Je ne me suis jamais plaint d'être taclé, mais il s'agissait à chaque fois de pures agressions ! A un moment, il m'a craché au visage en me disant : « Je vais juste tirer le corner mais ne t'inquiète pas, mon gros, je reviens ! »"